TITRE ARTICLE : Soigner les hommes et les peuples dans la région des Grands Lacs
DATE DE PUBLICATION : 2023-01-07
Dans
un état des ténèbres, où les monstres de l’histoire rodent inlassablement sur
les fenêtres des consciences, hantant sans cesse le jour et la nuit la mémoire
des vivants au sein de la région des Grands Lacs, la médication psychologique
et une espèce d’exorcisme s’avèrent une nécessité. Comme dans toutes les
hécatombes et les moments horribles de la grande histoire humaine, la question
de comment vivre à nouveau une vie normale de sens après les torrents des
larmes se pose également en cette région. Il s’agit de trouver les mécanismes
pour refaire la vie de tant des individus et des communautés, en s’appuyant sur
les ressorts tant spirituel, que psychiques pouvant permettre de rebondir, de
s’élever du chaos, de repenser l’avenir en récoltant à l’intérieur de soi les
forces pour faire face au présent, tout en donnant des accents de sens à la
souffrance endurée. Car la mémoire,
comme dit Paul Ricœur, c’est
l’utilisation du passé pour une réflexion sur le présent et une projection vers
l’avenir. La mémoire n’a de valeur que si elle se transforme en projet. Un
projet d’une vie nouvelle, renouvelée en son fond, en ses ressentis et en son
sens.
Ainsi,
face à la souffrance indescriptible qu’ont traversé les individus et les
communautés de la région des Grands Lacs après plus de deux décennies de
guerres civiles, de génocides, de conflits interethniques, ce projet de
renouvellement de vie se pose en une nécessité de premier ordre pour la paix en
cette région. Ce projet, c’est en amont, apprivoiser les blessures conscientes
et inconscientes du passé, pour y faire le pansement, en redescendant au fond
de soi, en trouvant les mots justes à sa souffrance, ainsi qu’une ultime
signification à cela. Il est question ; au fond d’une descente aux enfers
personnels en vue d’une remontée décisive vers la liberté d’être et l’élan
d’une vie meublée désormais en sens et en félicité. Une espèce de réconciliation
avec soi. Et arriver à dire comme Hélie de Saint Marc, ce déporté du camp de concentration
Nazi, « l’extrême douleur m’a appris la
joie de vivre. Elle m’a donné le goût de la liberté, qui vient naturellement
aux êtres qui ont connu de grands effondrements ». En aval, c’est
reconfigurer l’avenir sur base d’une certaine idée autre que celle de la
violence et de l’expression de la bêtise humaine. Il s’agit là d’une téléologie
qui renvoie à une certaine volonté de vivre en harmonie, dans une approche du
dialogue et une culture de convivialité pour faire communauté ensemble, parce
qu’on sait désormais les résultats et les effets de l’industrie de la violence
et de la loi de la vengeance sur la destinée des peuples. L’histoire devient
ainsi une instance salvatrice. Comme le rappelle non sans raison F.ölderlin « là où croit le péril, croit aussi ce qui
sauve ».
Ce
livre s’ouvre à cette perspective du questionnement sur le type d’homme que
l’horreur et l’humiliation subies ont produit au sein de la région des Grands
Lacs. Un questionnement sur la configuration tant psychologique et mentale de
cet homme, sur son style de réaction prisée pour exprimer sa souffrance
intérieure et sur les horizons possible à ouvrir pour renaître et rebâtir une
région des Grands Lacs plus paisible, plus harmonieuse, plus lumineuse et plus conviviale
dans une dialectique d’ouverture ; en vue de prospérer et de construire
ensemble un bel avenir commun pour nous, et pour les hommes et les femmes du
futur.