TITRE ARTICLE : RD Congo : l’urgence d’une réinvention nationale
DATE DE PUBLICATION : 2022-06-20
J’accepte volontiers d’écrire ces quelques
mots, en manière de « prétexte » ou de discours préliminaire sur le présent
ouvrage de notre jeune scientifique Mumbere. J’entends ainsi assumer le devoir
de ne point laisser penser à un quelconque et soi-disant « mal des aînés »,
lesquels seraient égoïstes et peu soucieux voire dédaigneux des jeunes. Je m’y applique
donc pour dire mon encouragement à l’initiative, pour reconnaître la fécondité
de l’ardeur, et pour saluer la puissance prometteuse de l’activité imaginative
et créatrice.
La volonté d’écrire a une finalité. L’écriture
révèle l’auteur sous le visage d’un jeune intellectuel « engagé » ou, si l’on
veut, un jeune être humain activement patriote, dans ce sens qu’il parle de sa
patrie pour sa patrie, c’est-à-dire, au-delà des regards pessimistes, sceptiques
et démissionnaires qui invitent ou inviteraient au découragement et à
l’inaction intellectuelle, qu’il assume hardiment la charge de contribuer tant soit
peu efficacement, mais passionnément, à sauver sa patrie.
L’ébranlement a une source. C’est le constat
d’une situation extraordinairement paradoxale, absolument effroyable et
humainement inadmissible d’un pays, le Congo, à la fois doté de ressources naturelles
et humaines incommensurables, et se présentant, en même temps, sous la figure
d’un espace de vie désagréable, douloureuse, difficile à vivre pour la grande
masse du peuple. Spécialement, les richesses collectivement produites à partir
de ces ressources naturelles sont très inégalement réparties, dans une
injustice sociale qui voue et confine les humbles citoyens à une perpétuelle
vie de pauvreté cruelle.
L’énergie d’écriture a du sens. Elle se veut
une « réflexion de rupture » et une « volonté du renouveau ». Mû par un sens
élevé de citoyenneté, l’auteur s’impose le devoir – à travers des mots vivants
et énergiques dans une entreprise intellectuelle résolument réflexive et poétique
à la fois – de penser et de faire penser ses concitoyens. Il analyse les «
défis » et les « tourments », les insuffisances, les crises, les carences et
les dysfonctionnements ou les « dysharmonies » énormes, quasi chroniques, qui
entravent la marche et l’avancée de la république sur le long et pénible chemin
de la conquête de notre joie d’exister, individuelle et collective.
Il expose les malheurs, les privations, les
misères atroces dont ses compatriotes sont victimes, de manière imméritée et
intolérable, et cela depuis de longues décennies qui auront déçu cruellement nos
espérances postcoloniales, et écrasé férocement nos légitimes élans de vie
bonne.
Cette situation a des sources nombreuses,
mieux, une source à facettes multiples. Mais la plus grande et la plus horrible
de toutes, c’est ce que l’auteur appelle une « pathologie ontologique » faite
d’une grave atrophie du sens d’historicité sur ce que nous sommes et avons été,
faite d’une incroyable dévitalisation du potentiel remarquable de notre
leadership plutôt en dégénérescence étonnante, et faite de troublante inactivité
ou d’« inertie communautaire » quant à la nécessité de quête active et
volontariste des voies efficaces conduisant à notre sortie de la maladie et,
donc, quant à la découverte intelligente des voies de guérison, de vie
heureuse, de gloire et de fête de nos âmes et esprits.
Egalement, et essentiellement, la pathologie
dont souffre le Congo est désignable comme effondrement des valeurs morales que
sont le sens des responsabilités, l’attention altruiste à l’autre, l’intégrité
intellectuelle et morale, la force de résistance à la corruption de l’être
profond de la personne humaine.
D’essence morale, la pathologie est aussi
d’ordre institutionnel : l’inadéquation des genres de principes politiques et
administratifs structurant les pratiques individuelles et collectives dans
notre espace de vie commune. La pathologie de l’inadéquation et du déséquilibre
des institutions résulte elle-même d’une sévère insuffisance de raison conceptuelle
et d’éducation à l’exercice rigoureux de la pensée méthodique radicale, celle
qui doive aller jusqu’aux racines, aux sources premières des faits, des
événements et des réalités, passées et présentes.
Aux yeux de l’auteur, la guérison passe par un
« renouveau », d’ordre global, en commençant par l’avènement d’un nouveau genre
de gouvernance politique. Mais ce dernier genre n’est possible qu’à travers la
culture des valeurs les plus élevées de la vie en société humaine : les valeurs
de rationalité, d’intégrité morale, de sens de l’honneur, de travail acharné,
de discipline, de « liberté citoyenne », de justice, d’humanisme et
d’excellence en toute chose. La gouvernance politique n’est authentique et
performante que fondée sur les valeurs éthiques, et constamment fécondée par
elles.
Il s’agit donc, et en somme, de « réinventer le
Congo », de faire accéder notre pays à la sphère de rationalité, à la sphère de
solidarité nationale véritable, et à la sphère d’humanité maximale. Mais le
renouveau est aussi exigence d’entrée nécessaire et intelligente dans un espace
de vie et d’évolution plus large, extranational, mondial, comportant des
exigences nouvelles, celle, notamment et essentiellement, de faire face à
l’agression hégémonique occidentale et orientale, à l’avidité prédatrice
focalisée sur les richesses des autres, principalement des appauvris que sont
les pays et peuples africains assujettis, néocolonisés, écrasés.
La route vers le renouveau du Congo est longue
et exigeante. Elle réclame du sacrifice de la part de chacun de ses fils et
chacune de ses filles. La force de la créativité, en s’inspirant des valeurs de
notre histoire et en les transmutant, en est l’une des scansions majeures. En
particulier, la gouvernance politique a l’obligation de changer de cap, en se dotant
d’une étoffe épaisse de volonté humaniste, en se donnant une ardeur altruiste
assise sur la valeur de la compassion pour ses compatriotes qui souffrent de
manière atroce et qui sont massacrés, chaque jour, jour et nuit, du fait d’une
gouvernance politique molle, déficiente, et irrationnelle. Le renouveau réclame
l’avènement d’une intelligence politique éminemment éclairée, audacieuse,
passionnée et volontariste. Ainsi, les modèles de pensée hardie, dont la figure
de Lumumba est tout à fait exemplaire, sont à honorer, en pensées et en actes.
Le renouveau doit être voulu total, la
réinvention globale, dans et au-delà de la hardiesse de notre noble volonté de
vie nouvelle, de « futur radieux », pour nous aujourd’hui et pour les
générations à venir. Pour nous refaire, nous réinventer, cette passion «
mumbérienne » devrait pouvoir nous aiguillonner, et nous rendre plus attentifs
à cette grandeur, à cette fierté et à cette joie d’exister que notre peuple
mérite de connaître et de vivre, grandeur admirable dont il attend, en toute
légitimité, que l’intellectuel lui indique la voie adéquate et que le
gouvernant politique lui donne les moyens conséquents pour son accomplissement,
avec tous ses « grands espoirs » plantés sur les rivages de nos valeurs les plus
désirables.